Appel à contributions

La gauche politique et syndicale face à la xénophobie, au racisme et à l’extrême droite des années soixante à nos jours

Appel à contributions pour les Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier, n° 42, 2026.

La montée de l’extrême droite et de ses idées délétères dans les urnes comme dans les esprits constitue un fait majeur de la période troublée que nous traversons. Elle est l’un des facteurs de crise qui la caractérisent à l’échelle de la planète.

Face à la crise environnementale de dérèglement du climat et de destruction de la biodiversité, face à la mort de masse des exilé·e·s en détresse, face à des guerres qui mettent en faillite le droit international et ses arbitrages, face aussi au renforcement de la précarisation sociale des plus défavorisé·e·s, la xénophobie, le racisme et les idées d’extrême droite, qui prennent des teintes diverses selon les contextes nationaux, se développent très largement au mépris de tous les engagements internationaux en faveur des droits humains développés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’extrême droite aurait-elle gagné la bataille des idées, aurait-elle conquis l’hégémonie politique de ce temps au sens où l’entendait Antonio Gramsci[1] ?

Cette question très actuelle est souvent traitée en relation avec l’expérience tragique des années trente du siècle dernier. Elle suscite assez naturellement des comparaisons avec les années du fascisme de cette époque et l’horreur de ce qu’il a provoqué. Certes, il y a lieu de se préoccuper d’un retour toujours possible des pires crimes contre l’humanité, et « le ventre est encore fécond d’où ça sort », d’après la traduction la plus précise du fameux avertissement de Bertolt Brecht qui rend compte de l’indétermination de ce danger[2]. Mais, pour ce faire, il est aussi intéressant de faire jouer le travail d’histoire et ses comparaisons avec la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte où personne ne pouvait plus ignorer à quelles horreurs pouvait mener le fascisme, et en fonction d’un engagement d’une partie des États pour la défense des droits humains et le respect du droit international. En Suisse, c’est dans ce contexte qu’ont émergé des initiatives xénophobes, puis des campagnes racistes allant jusqu’à contester les engagements pris auprès du Conseil de l’Europe.

Xénophobie

Longtemps négligé par l’historiographie, l’apport de l’immigration est un facteur décisif du développement de la Suisse dans la période qui suit la Seconde Guerre mondiale. Il est caractérisé par une organisation des recrutements de main d’œuvre dans des pays proches, en premier lieu l’Italie, puis l’Espagne, le Portugal, la Yougoslavie (surtout la région kosovare), ainsi que par l’imposition du statut discriminatoire de saisonnier·ère. C’est dans ce contexte, au début des années 1970, qu’émergent les initiatives de l’extrême droite de l’Action nationale, puis du Mouvement républicain, de James Schwarzenbach. Dirigées contre ladite surpopulation étrangère, ces initiatives émanant de l’extrême droite ont été approuvées par une part consistante, mais minoritaire, du corps électoral.

Racisme

Dominée par son aile blochérienne depuis le début des années 1990, la malnommée Union démocratique du centre s’est affirmée comme le premier parti du pays en nombre de voix dès les années 2000. Depuis lors, elle marque fortement les esprits dans l’espace public à travers ses campagnes contre l’intégration européenne de la Suisse et contre les étranger·ère·s. Son affiche fameuse et sinistre sur laquelle figure un mouton noir est emblématique d’une posture de discrimination et de haine à l’égard de populations migrantes issues de pays plus éloignés et musulmans. Les initiatives contre les minarets ou le port de la burka, toutes deux victorieuses dans les urnes, se déploient sur un fond islamophobe, alors que des campagnes contre la croissance démographique s’orientent vers un discours se voulant attentif à des enjeux environnementaux qui sont instrumentalisés. Enfin, la dénonciation d’une prétendue criminalité étrangère mobilise des préjugés racistes.

Extrême droite

L’évolution de l’UDC d’un parti conservateur agrarien vers un parti ultralibéral, climatodénialiste, identitaire, xénophobe et raciste aboutit aujourd’hui à ce qu’il soit justifié de le considérer comme d’extrême droite, même s’il est en voix le premier parti du pays. L’extrême droite 2.0 au sens de Steven Forti[3] associe dans toute sa diversité un dénominateur commun comprenant notamment « un nationalisme, un identitarisme ou un nativisme marqués, la récupération de la souveraineté nationale, une critique profonde du multilatéralisme – et, en Europe, un haut degré d’euroscepticisme -, la défense des valeurs conservatrices, la défense de la loi et de l’ordre, l’islamophobie, la condamnation de l’immigration comme “invasion“, la critique du multiculturalisme et des sociétés ouvertes, l’anti-intellectualisme et la distanciation formelle par rapport aux expériences passées du fascisme » ; ainsi qu’un « désir de se présenter comme des transgresseurs et des rebelles contre un système supposé hégémonique de la gauche qui aurait établi une dictature progressiste ou politiquement correcte. » Par ses campagnes politiques de ces dernières années, notamment son initiative contre les juges étrangers qui s’en prenait aux engagements de la Suisse vis-à-vis de la Convention européenne des droits de l’homme, l’UDC correspond très largement à cette définition.

Dès lors, la question se pose de savoir quelle a été l’attitude de la gauche politique et syndicale, des partis de gauche, des syndicats et des associations progressistes face à ces initiatives et ces campagnes pour contrer, ou non, ces idées d’extrême-droite. Elle est d’autant plus importante pour comprendre la période contemporaine que la démagogie dite populiste, à laquelle l’UDC ne rechigne pas, n’hésite pas à prétendre défendre les intérêts des milieux populaires tout en adoptant par ailleurs des positions très libérales et antisociales.

La question de l’accueil et des droits des travailleur·se·s immigré·e·s a pu se heurter, au sein du mouvement ouvrier, aux effets d’une libre mise en concurrence dans le contexte de la globalisation capitaliste. Comme cela avait aussi été le cas avec le travail féminin, elle a été ressentie, à tort ou à raison, comme un prétexte à l’introduction de formes de précarité et de bas salaires que les travailleur·se·s autochtones n’auraient jamais acceptées. Elle a aussi débouché sur des postures solidaires fondées sur la conscience de l’intérêt commun de ces différentes catégories de salarié·es, et sur la nécessité de la solidarité face aux tentatives de division du patronat. Mais ce processus a-t-il valu et vaut-il pour toutes les vagues migratoires successives ? Est-il complètement achevé ? Quelles sont ses limites ? Qu’en est-il, pour la période récente, de la rage d’être inclus[4] qui caractérisait le monde ouvrier au moment où se sont forgés les États-nations ?

Les contributions attendues, portant sur les années soixante à nos jours en Suisse et alentours, en référence aussi avec les fascismes des années trente et l’émergence de la notion d’antifascisme, pourront notamment développer les questions suivantes :

  • l’attitude et le rôle des organisations syndicales, et les divergences en leur sein, au temps des initiatives Schwarzenbach, ainsi que leur évolution au cours des périodes ultérieures ;
  • l’histoire de la manière dont les milieux progressistes ont défendu, ou pas, en fonction des situations, les droits fondamentaux (et sociaux) de toutes et tous, l’état de droit, les libertés politiques, la solidarité avec les migrant·e·s, etc. ;
  • le respect des droits humains fondamentaux de toutes et tous tels qu’ils ont été définis après la Seconde Guerre mondiale, et avec lui la notion d’antifascisme, son niveau de validité et d’actualité dans le contexte contemporain, ou son occultation, du point de vue des organisations politiques et syndicales de la gauche et du mouvement social, mais aussi au niveau des forces bourgeoises qui ont été partie prenante de leur affirmation et devraient donc se conformer au barrage démocratique à l’encontre de l’extrême droite ;
  • l’intérêt, ou pas, dans le contexte suisse, de la thèse de Félicien Faury[5] sur la normalisation de l’extrême droite sous l’effet de la peur de déclassement social de catégories sociales intermédiaires ;
  • les manières dont l’extrême droite est qualifiée, ou pas, en tant que telle, ainsi que l’existence et l’histoire d’un débat sur les manières de la combattre, ou au contraire de céder à l’écueil d’un déni de réalité produisant plutôt des silences…
  • l’histoire des usages et mésusages, au cours de la période des années soixante à nos jours, de l’histoire des fascismes et de l’antifascisme des années trente.

Les propositions de contributions (titre et résumé de 1000 signes, référence bibliographique non comprise) sont à envoyer au plus tard le 31 mai 2025 à :

charles.heimberg[at]gmail.com

La décision de la rédaction suivra. La première version des articles devra être soumise le 1er novembre 2025 au plus tard et sera discutée avec l’ensemble des responsables du numéro. Une nouvelle version tenant compte des propositions de modifications devra parvenir à la rédaction au plus tard le 1er février 2026. Les articles compteront 25’000 à 30’000 signes. Des illustrations de bonne qualité seront les bienvenues.

Charles Heimberg, Alain Mélo, Alexandre Elsig

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[1] George Hoare, Nathan Sperber, Introduction à Antonio Gramsci, Paris, La Découverte, pp. 93-112.

[2] Bertolt Brecht, La résistible ascension d’Arturo Ui, traduit par Hélène Mauler et René Zahnd, Paris, L’Arche, 2012, p. 135.

[3] Steven Forti, « Extrême droite 2.0 : de la normalisation à la lutte pour l’hégémonie », Le Grand Continent, 14 juin 2022, repéré le 10.12.2024 dans : https://legrandcontinent.eu/fr/2022/06/14/extreme-droite-2-0-de-la-normalisation-a-la-lutte-pour-lhegemonie/.

[4] Charles Heimberg, « Rage d’être inclus et internationalisme : l’urgence d’en enseigner l’histoire contrastée », Jean Jaurès cahiers trimestriels, 2015, vol. 215-216, n° 1, pp. 53–65.

[5] Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, Paris, Seuil, 2024.