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Cahier n°20. Victimes du travail

AÉHMO & Éditions d'en bas.

2004, 175 p.

Présentation

Aux portes de Genève, le Pont-Butin domine le Rhône et relie de grands quartiers de banlieue. En son milieu, une plaque en bronze n’est visible que par les piétons attentifs. Elle ne rend pas hommage à quelque illustre suicidé, mais bien aux cinq ouvriers qui ont perdu la vie au cours de la construction de l’ouvrage :

« A LA MEMOIRE DES OUVRIERS VICTIMES DES TRAVAUX : Joseph Costa, Bernex, le 28 février 1919; Joachim Bourgeois, Allinges, 28 novembre 1920; Charles Thierry, Fribourg, le 2 mai 1923, Robert Fromentin, Ormonts, le 10 juin 1926; Fritz Droz, Neuchâtel, 12 octobre 1926.  »
Les milliers d’automobilistes qui roulent chaque jour sur ce pont ignorent sans doute ce qu’a été le prix, en vies et en souffrances humaines, de sa construction. Tout comme s’ignorent largement les souffrances, les maladies et les disparitions brutales qui ont marqué et continuent de marquer le monde du travail.

Le dossier de ce 20′ numéro des Cahiers du mouvement ouvrier porte sur le thème «Victimes du travail». C’est un thème pour lequel, en Suisse particulièrement, les historiens ont encore du pain sur la planche. C’est aussi un thème pour lequel le passé et le présent se font largement écho. Souffrir et mourir de son travail semble ainsi relever d’une sorte de fatalité qui devrait nous interroger. Mais c’est aussi un phénomène qui est en train de changer de nature. En relation avec le travail, la maladie ou la mort prennent parfois des aspects différents, retardés de plusieurs décennies avec l’exposition à l’amiante, moins évidents et moins reconnus avec ces nouvelles souffrances psychologiques qui découlent de la rationalisation du travail et de l’idéologie ultra-libérale.

La réflexion historique sur ce thème peut encore se prolonger autour de trois termes, autour de trois absences : la prévention des accidents et des maladies du travail, longtemps absente et écrasée par le paradigme de la fatalité : elle reste encore insuffisante aujourd’hui; la reconnaissance de cette souffrance provoquée par l’industrialisation, le «progrès» et la logique capitaliste du profit : souvent inexistante, elle n’a émergé que par l’action des syndicats et du mouvement social; la mémoire des accidents et des maladies du travail, toujours fragile et aléatoire : elle peut même faire défaut pour des catastrophes, même graves et spectaculaires.

La souffrance au travail, la maladie et la mort au travail, ces réalités existent depuis bien longtemps, et touchent autant les femmes que les hommes. Elles doivent bien sûr être combattues par le mouvement social, les syndicats et le mouvement altermondialiste. Il s’agit aussi de les inscrire dans la mémoire collective et de mettre fin à l’occultation dont elles font largement l’objet. Toutefois, pour se souvenir, il faut d’abord connaître. Et c’est là un large champ de recherches qui reste ouvert pour les historiens du social.

Ce dossier des Cahiers du mouvement ouvrier propose quelques exemples significatifs tout en espérant susciter d’autres études. Une première partie, centrée sur des cas particuliers, est introduite par l’étude de Liliane Mottu-Weber sur la maladie des doreurs à Genève, un cas ancien, et peu connu, qui découlait – déjà – d’une exposition aux vapeurs de mercure. Une deuxième partie est ouverte par la contribution de Michel Pigenet, qui évoque le cas des ports français, lieux de travail à haut risque pour les dockers. Des articles plus généraux abordent alors la question de l’«irresponsabilité» patronale face aux risques du travail et celle de la difficile émergence de politiques de prévention et de structures de protection comme la CNA. Enfin, les victimes du travail sont souvent des migrants qui n’ont pas toujours droit aux protections accordées aux travailleurs autochtones. Ou qui se trouvent pris entre deux législations, comme le montre Philippe Hamman pour les frontaliers.

Il faudrait encore donner la parole aux victimes, récolter leurs témoignages pour reconstruire l’histoire occultée de la souffrance au travail. Les dos éreintés par des années de labeur sur les chantiers, les fortes contraintes du statut de saisonnier ou les effets psychologiques de la peur de perdre son emploi sont autant d’aspects, parmi d’autres, qui mériteraient d’être mieux connus et reconnus à une époque de remise en cause du droit à la protection sociale ou à la retraite.

Sommaire

  • Introduction, par Charles Heimberg, (pp. 5-6)
  • Liliane Mottu-Weber, Détourner les vapeurs de mercure, respirer l’air de la campagne : péripéties de la lutte contre la maladie des doreurs à Genève (1750-1820), (pp. 7-26)
  • Orazio Martinetti, Le Saint Gothard dans l’historiographie sociale, (pp. 27-33)
  • Pierre-Yves Donzé, L’impact de la construction des chemins de fer sur la médecine hospitalière en Suisse romande. 1850-1914, (pp. 34-46)
  • Charles Heimberg, L’explosion de l’Usine à Gaz et ses treize victimes oubliées, Genève, 1909, (pp. 47-56)
  • Monica Bartolo, La tragédie de Robiei, (pp. 57-66)
  • Michel Pigenet, Les risques du métier? Les accidents du travail dans les ports français, (pp. 67-80)
  • Nicole Schaad, Perception, évaluation et réglementation des risques dans la chimie bâloise (1880-1930), (pp. 81-93)
  • Martin Lengwiler, La volonté de rationalisation et de tarification des accidents du travail et ses limites dans les assurances sociales : le cas de la SUVA et de la silicose, (pp. 94-103)
  • Massimo Usel, Deux décennies d’intensification du travail, fragilisation et stress des salariés, (pp. 104-120)
  • François Iselin, Le mouvement ouvrier lémanique face à l’amiante : quand la paix du marché succède à la paix du travail, (pp. 121-134)
  • Philippe Hamman, Les relations de travail transfrontalières franco-suisses (de 1960 à nos jours). Entre législations nationales et construction européenne, une problématique sociale de «l’entre-deux», (pp. 135-151)
Hors dossier :
André Rauber, L’époque des « interdictions communistes », (pp. 153-166)
Livres reçus et notes de lecture

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